Le Secrétaire Général de la région du littoral a conduit une caravane de la Commission Nationale Anti-Corruption (CONAC) dans la ville de Douala le 11 juillet dernier, pour sensibiliser les agents publics et les usagers à dénoncer ce fléau, qui se comporte finalement comme un serpent de mer, insaisissable.
Parler de corruption de nos jours au Cameroun, c’est comme parler d’une denrée de première nécessité, dont les Camerounais ne peuvent se passer. Avec une différence, c’est qu’elle est plus présente que n’importe quelle denrée. Avec le courant électrique on connait le délestage, avec l’eau on connait les coupures, mais avec la corruption il n’y a pas de rupture qui tienne, elle est omniprésente.
La corruption est aussi toujours bien portante, plus que tous les biens et services dont on a besoin. Les routes peuvent être en mauvaise états, les bâtiments des services publics peuvent être vétustes, les véhicules de l’Etat peuvent être en panne, la corruption elle, est toujours en bon état.
La corruption a surtout le don de se retrouver partout, sans avoir à prendre rendez-vous ou remplir les audiences. A l’école, à l’hôpital, au marché, au port, au tribunal, au commissariat, aux impôts, à la douane, en route, en mer, dans la forêt, au domaine, au cadastre, à la mairie, elle est là.
Enfin la corruption a la particularité d’être un enfant chéri, choyé de tous, celle qui a l’attention de tout le monde, et chacun s’en occupe à cœur joie. Le chauffeur, le patron, la bonne, la patronne, le policier, le magistrat, l’avocat, le douanier, l’agent forestier, et on peut continuer.
Au Cameroun, on voue un tel culte à la corruption que même Dieu en serait jaloux.
Elle est respectée, prise en compte pour tout ce qu’on veut faire. Elle est rampante, insaisissable, glissante, latente, évanescente, invisible. Tout le monde en parle, mais personne ne la voit, mais elle est bien là.
On lui a même trouvé diverses dénominations.
Une lutte perdue d’avance ?
La corruption, contrairement à ce l’on pense, crée aussi des emplois au Cameroun. Elle est à l’origine de la création de tout un organe institutionnel, appelé Commission nationale anti-corruption ( CONAC ), avec un directeur dont le salaire est au-dessus du million de nos francs, et des agents qui ne se plaignent pas non plus de leurs traitements salariaux.
Cette commission a pour rôle essentiel de lutter contre la corruption, qui était à l’origine de sa création. Un peu paradoxal dirait-on.
A se demander ce que la commission deviendrait si la corruption finissait. Mais pour le moment elle se débrouille pour lutter contre ce qui l’a créée, elle se bat comme un beau diable, pour ne pas mourir sans déchirer la couverture.
Cette commission était encore au front il y a deux jours.
Le 11 juillet dernier à Douala, une délégation de la CONAC est descendue dans la ville, profitant de la célébration de la 1ère édition de la Journée africaine de lutte contre la corruption. Il était question pour la CONAC de sensibiliser les agents publics et les populations, afin que les premiers s’éloignent de la corruption qui a paralysé le service public et, pour les seconds, les emmener à dénoncer tous les actes de corruptions dont ils sont victimes ou alors qui seraient portés à leur attention.
Le fin mot de l’histoire, étant que le service public ne soit plus porteur ou géniteur de corruption.
Mais pendant que la caravane conduite par le secrétaire général de la Région du Littoral sillonnait les rues de la ville de Douala, la corruption se pratiquait dans les bureaux administratifs, les usagers réaffirmaient qu’il est pratiquement impossible d’obtenir un service public sans corruption.
La douane en tête des corps corrompus.
Les ravages de ce fléau ne se cachent plus, que ce soit dans l’économie camerounaise qu’au niveau d’autres domaines de la vie quotidienne.
Pour l’économie, le dernier rapport de la CONAC publié en décembre 2017, indiquait que le trésor public camerounais avait perdu 1 302 milliards de francs CFA dans la corruption en 2016.
Les effets dévastateurs et désagréables du fléau sont davantage visibles chaque jour à travers les multiples chantiers publics abandonnés partout dans le pays, les routes dont la construction est entamée et jamais terminées dans divers arrondissements de la ville, des routes impraticables qui longent pourtant des immeubles et villas cossues qui se dressent avec insolence dans les quartiers.
A cet effet, les douaniers sont ceux qui pratiquent la corruption avec plus de rigueur et de discipline, et se font une concurrence dans les constructions des maisons les plus luxueuses et les plus ostentatoires.
C’est ce que relevait ce rapport de la CONAC, précisant qu’entre 2010 et 2015, la douane a fait perdre au Trésor public camerounais la bagatelle de 1 250 milliards soit environ 75% du budget d’investissement public (Bip) de notre pays en 2016.
Ce rapport mettait en exergue les avoirs d’un adjudant de douane propriétaire de 13 villas en dur, bâties sur terrains titrés ; d’un immeuble de 5 niveaux également construit sur terrain titré ; ainsi que de 10 terrains immatriculés. Et de conclure qu’il existe même à Ndongbong dans l’arrondissement de Douala III un luxueux quartier appelé “quartier douanier”.
Ainsi se porte la corruption, elle se multiplie au fur et à mesure que la lutte s’intensifie.
Peut-être parce que comme le relevait le professeur Hubert Mono Ndjana, »au Cameroun on lutte contre la corruption qui est invisible et insaisissable, au lieu de lutter contre les corrupteurs qui eux sont connus ».
Roland TSAPI